Philippe Petit – Interview

Marseille Commitee

Philippe Petit est l’un des activistes les plus prolifiques de la scène underground française, et l’un des plus discrets. Pourtant depuis sa base marseillaise, il côtoie un nombre impressionnant d’artistes de tous horizons et crée avec eux des morceaux qu’il joue aux quatre coins du monde, voire des disques qu’il distribue sur son propre label Bip Hop ou d’autres entités internationales.

(Re) découvert avec son collectif Strings of Consciousness il y a déjà 3 ans, il a enchainé depuis compilations et albums (dont l’épouvantable- au sens premier du terme- « Friends with a face » avec James Johnston) et offre aujourd’hui à Abus un magnifique morceau inédit. Un premier album atmosphérique et insolite sort sous son nom, enfin ! L’occasion de faire un point sur son parcours qui prouve que « quand on veut, on peut » et contredit le misérabilisme du discours ambiant.

Tu as sorti ton dernier album sous la dénomination de « Philippe Petit and Friends », alors qu’on retrouve une bonne partie du collectif Strings of Consciousness. Pourquoi cette distinction ?

Les morceaux de « Silk-Screened » ne sont pas composés avec Hervé Vincenti, ce qui reste la marque de fabrique Strings Of Consciousness.

Se côtoient dans « Silk-screened » des moments boisés, très baroques, et des moments plus métalliques, plus obscurs. Cela vient de la composition du groupe ? De la manière de composer ?

Cela vient de mon envie de sonner plus contemporain, plus orchestral à la manière de certaines BO qui a déterminé le choix des morceaux à figurer sur le disque. La vision d’ensemble reste la mienne et donc le nombre d’invités n’influe pas sur le rendu global, par contre il est évident que sans, par exemple, le talent de la violoncelliste Bela Emerson un morceau comme « Blossoming Krokus » ne pourrait fonctionner. La harpe de Rafaelle Rinaudo est le centre du morceau « Do not follow your own shadow… » et le sax de Perceval Bellone fait tout pour « Beyond the mist »- titre d’ailleurs fait en étroite collaboration avec Perceval, ce qui montre que ma vision découle et se nourrit du talent de ces amis musiciens.

© Robert Gil

Les cuivres sont omni-présents, comme s’ils survolaient les mélodies et les ambiances et donnaient ainsi une certaine homogénéité à l’album. Avais-tu besoin, après l’album très sombre que tu as enregistré avec James Johnston , de lumière, de légèreté ?

J’ai toujours besoin de sonner différemment, les albums qui se suivent et se ressemblent m’ennuient, donc mes journées suivent des rythmes divers et variés. J’ai toujours fonctionné ainsi, sautant d’un style à un autre, même si certains restent prédominants dans mon coeur. Lorsque je fais de la musique, la démarche est similaire. Je bosse sur plusieurs albums en même temps – une dizaine – et chacun m’emmène dans d’autres univers, apporte fraicheur et diversité quand besoin est, et permet de laisser reposer certains pour y revenir plus tard fort de l’expérience acquise en bossant sur les autres. A mes oreilles le duo avec James n’est pas plus ou moins sombre, je ne vois pas les choses ainsi puisqu’ayant écouté des tas de groupes bien plus dark, nos musiques me semblent fort digestes en comparaison. Simplement elles rendent hommages aux films d’horreurs série B donc forcément une certaine atmosphère inquiétante doit s’en dégager. Ces derniers temps James et moi avons bien entamé la suite qui sera un album hommage aux nanars Sci-fi 50/60 qui sonnera fort différent du « Fiends With A Face » que nous avions sorti en 2009. Je trouve toujours amusantes les différences dans les façons de ressentir la vie, et en ce qui nous concerne la musique. Pour exemple parfois des gens qui entendent les musiques que j’aime me parlent de mélancolie ou de tristesse, alors que pour moi il s’agit tout simplement de beauté ou de romantisme. Ainsi sommes-nous faits et c’est ce qui rend l’existence surprenante, parfois dans le bon sens du terme. Je ne suis pas très doué pour l’empathie, et ne pense pas à ce que pourrait vouloir le public, Par contre je sais ce que j’aime et comment je voudrais que fussent mes musiques, reste ensuite à trouver les chemins pour y parvenir.

Les personnages de la pochette semblent être échappés d’un film muet… ou de Guy Madin. Peux-tu nous parler de l’aspect graphique de cette œuvre ?

Guillaume Amen qui fait beaucoup de mes pochettes est un artiste qui sait comprendre les messages que je souhaite véhiculer, comme tu l’as fort justement remarqué il a bien retranscris l’aspect cinématique de mon propos et choisi des photos extraites de films muets. Pour « Henry: The Iron Man » qui se voulait une BO imaginaire croisant les atmosphères de Tetsuo de Shinya Tsukamoto et Eraserhead de Lynch, il avait merveilleusement illustré la mutation d’Henry Spencer en monstre métallique. Il a également réalisé ma collaboration avec l’Italien Pietro Riparbelli « The Haunting Triptych » qui paraît ce mois-ci chez Boring Machines, parvenant à retranscrire le côté fantomatique, hanté du disque.

On pourrait appeler tous tes albums « Philippe Petit and friend(s) ». Pourquoi ce besoin de collaboration ?

En effet Strings Of Consciousness se veut aussi comme un collectif à géométrie variable et c’est justement le plus sûr chemin que j’ai trouvé pour créer des musiques qui me conviennent. L’échange me parait la meilleure façon de progresser, d’aller de l’avant de façon agréable puisqu’en bonne compagnie. Et surtout leur talent m’est indispensable, puisqu’il me permet de rebondir d’idées en idées et repousser mes limites toujours plus loin. De même quand je suis invité à jouer solo je demande à des amis locaux de me rejoindre en scène. Vu que je ne cherche pas à me produire dans toutes les villes et privilégie les festivals ou capitales, c’est moins compliqué à mettre en place que ça n’en à l’air sur le papier, puisque j’ai plus de connaissances dans les grandes métropoles. Par exemple en Mai je pars jouer à New York pour deux dates. Sur la première, je serai rejoint par le saxophoniste d’Arcade Fire et la seconde se fera avec une guitariste, une violoncelliste, un trompettiste, et le groupe Post Abortion Stress. Chacun intervenant sur des titres différents, cela créera un mouvement et me permettra de me renouveler, d’être surpris. J’adore me sentir « en danger » sur scène, ne pas savoir à quoi m’attendre. Vendredi dernier j’ai joué dans Faust (qui aujourd’hui compte James Johnston) et rien n’était préparé. J’ai été invité deux jours avant le concert et nous avons passé deux heures inoubliables sur scène. C’était comme un rêve prenant forme que de me retrouver avec ce groupe que j’écoute depuis plus de 25 ans…

Je suis hyper-actif et ai toujours besoin de garder ma tête pleine de projets et surtout de les mener à bien, aller de l’avant et donc toutes ces collaborations me font vivre.

Comment envisages-tu d’ailleurs le passage d’un projet à l’autre ? Comment ne te perds tu pas dans ce dédale de morceaux et d’univers qui se rejoignent tous dans une sorte d’exploration de la complémentarité machine/instruments organiques ?

En ce qui me concerne on ne peut parler de dédale puisque je suis mon chemin et il se trace naturellement au fil des jours, des rencontres, des envies et c’est certainement pourquoi tout se rejoint ou en tout cas s’entrecroise en bonne entente, tout simplement parce que cela correspond à ma vision de la musique. Toutefois cette vision reste très large et donc je comprends que l’auditeur s’y perde et je n’envisage pas que la majorité suive tous « mes chemins ». En ce moment je fais des disques en collaboration avec Lydia Lunch, Murcof, ASVA, Simon Fisher Turner ou Eugene Robinson d’Oxbow, et il est clair que peu d’auditeurs potentiels seront intéressés par toutes ces facettes.

Je me vois comme un « agent de voyage musical » qui donne des directions ou pistes, ensuite à chacun de trouver son chemin pour tenter le voyage avec moi ou pas.

Peux-tu nous parler de cette expérience à laquelle vous participez sur « Slow » de Oldman à laquelle devraient participer aussi Sylvain Chauveau, Le coq, Jasper TX, Mathias Delplanque ?

Charles-Eric Charrier m’avait demandé il y a déjà pas mal de mois de travailler sur un remix de ce morceau qu’Oldman avait interprété en live. J’aimais l’idée et donc ai décidé de le reconstruire en rajoutant mes sons. Puis, pour encore plus sortir de son côté Post-Rock, j’ai invité Andy Diagram (Spaceheads/Pere Ubu) à jouer de sa trompette sur une Face et Graham Massey (808 State/Bjork) de la clarinette basse sur l’autre. Au départ, les deux titres devaient figurer sur une série de vinyles mais Arbouse tardant à les sortir j’ai voulu mettre les morceaux sur « Silk-screened » pensant qu’il était grand temps qu’il ne dorment plus au fond d’un tiroir… La série de vinyles paraîtra un jour et je serai ravi de figurer aux côtés de Sylvain ou Mathias dont j’apprécie la démarche.

Et cette collaboration avec Eastern Committee qui figure sur le CD d’Abus 114 ?

Eastern Committee est un jeune duo formé par Pedro et Julia, tous deux arrivés de Buenos Aires et sont un vrai bol d’air frais. En quelques mois ils ont déjà organisé des soirées Indie et fait jouer toute la scène locale. Mais surtout ils sont vraiment talentueux et pour moi de loin ce que Marseille compte de mieux dans le genre Folk-Indie-Rock. J’ai eu beaucoup de plaisir à rajouter quelques une de mes épices à leur chanson. Pour plus d’infos, je vous engage à les écouter sur leur page myspace (http://www.myspace.com/easterncommittee)

Tu es producteur et label manager. Comment choisis-tu les artistes que tu sors sur Bip Hop ? Est-ce que tu les laisses complètement libres ou interviens-tu dans leurs projets (musique, présentation graphique) ?

Que ce soit avec Pandemonium Rdz. ou BiP_HOp tous mes choix ont résulté de ma passion. J’ai toujours voulu travailler avec des gens sur la même longueur d’onde et dont l’album me plaisait suffisamment pour le défendre avec conviction. A la base, si je choisis de travailler avec quelqu’un, c’est que je connais son travail et lui fais confiance. Toutefois il me semble que le rôle d’un « label manager » est d’apporter ses compétences et son expérience au musicien. Un peu comme un filtre entre le talent brut du compositeur et le public, un passeur qui doit s’assurer que toutes les étapes conduisant au disque prêt à être entendu sont réussies. Je discute beaucoup avec les groupes, donne mon avis, exprime des idées et bien souvent ils sont bien contents de les entendre. Je ne les force à rien bien entendu puisque la musique leur appartient. Concernant les visuels il est souvent arrivé que des musiciens fassent appel à nous et donc Guillaume Amen, Julien Berthier, Laurent ‘Sugar & Spice’ ou Benoit Roux ont mis en image au fil des ans…

Arrives-tu en ces temps difficiles à en vivre, tout en restant indépendant ?

Je n’ai jamais voulu vivre de mes labels. Déjà du temps de Pandemonium Rdz j’avais préféré rester au RMI, et depuis ce sont mes sets DJ ou live qui alimentent mes passions. De fait les labels sont totalement indépendants et je peux signer des groupes même si je sais que je ne vendrai que 200 copies. Depuis que j’ai commencé au début des années 90 j’ai vu la majeure partie de mes pairs devoir renoncer à cette liberté parce qu’ils avaient fait d’autres choix, même si je les comprends et respecte, ce ne sont pas les miens.

Après avoir été à tous les postes et connu plusieurs milieux, qu’est-ce qui aujourd’hui te fait encore rêver dans la musique ?

Ce qui me fait rêver c’est tout simplement ma liberté qui me fait me lever chaque matin pour faire ce que je veux et comme je l’entends. Echanger et communiquer avec des musiciens ou compositeurs amis talentueux. Et pour répondre précisément à ta question, dans la musique des autres, ce qui m’attire c’est la liberté, l’inventivité. Par exemple des gens comme Jean-Hervé et Zappi de Faust qui à 60 ans passés continuent à surprendre et emprunter des chemins de traverse, j’espère vraiment vieillir comme eux.  Ce qui me fait rêver c’est mon quotidien, aller de l’avant sans concession reste ma devise, et mon envie est d’espérer continuer à être musicalement surpris de temps à autres.

Cathimini

Discographie:

Philippe Petit and Friends – « Silk-screened » (Trace Rds)

Philippe Petit and James Johnston – « Friends with a face » (CD –Dirter)

Philippe Petit and Lydia Lunch – VA. Antibothis compilation vol. 3 (CD – Thisco)

et VA. Electronic Manifesto vol. 4 (CD – M-Tronic)

Spaceheads and Max Eastley « A very long way from anywhere else » (Bip Hop Rds)

www.myspace.com/philippepetit

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