Tindersticks « The Something Rain »

Il en fallait du courage pour débarquer en pleine Brit Pop et imposer à grands coups de cuivres et de violons une musique tordue, tortueuse, à la mélancolie imparable, écrite pour les jours de pluie à Nottingham… En 1993, alors que Blur et Oasis s’apprêtent à devenir le centre d’intérêt de tout un peuple, que Radiohead et Suede poussent leur cri primal, que Bjork s’apprête à exploser les frontières de la pop et de l’électro, un sextet en costume déboule du milieu de l’Angleterre et impose son univers étrange aux oreilles ébahies par tant de grâce. Sur les cendres d’Asphalt Ribbons naissent ainsi les Tindersticks. Et leur premier album, riche de 22 titres ( !) vient de marquer le début d’une longue carrière, poser les bases d’un édifice unique, dans lequel il fera bon venir se ressourcer lors des coups durs et des soirées moroses. Loin de toute mode, leur musique doit autant à David Bowie qu’à Roxy Music, à Scott Walker qu’ à Otis Redding, aux ambiances feutrées de Bryan Ferry qu’aux emportements des Bad Seeds, dont ils sont un peu le pendant sous prozac ! Les arrangements de cordes et de cuivres servent d’écrin parfait à la voix de Stuart Staples, chaleureuse et fragile, une des plus belles qu’il nous sera donné d’entendre, ramenant à la surface les fantômes adorés de Townes Van Zandt ou de Lee Hazlewood. L’univers très cinématographique du groupe attire rapidement Claire Denis, qui leur confiera 4 films, dont les marquants « Nénette et Boni » et « Trouble Every Day ». Artisan de ces belles réussites, Dickon Hinchliffe quittera bientôt le navire pour aller composer seul dans son coin (Cold Souls, Winter’s Bone, Killing Fields…). Le groupe évolue d’ailleurs au gré des sorties, le noyau dur se limitant à Staples, David Boulter et Neil Fraser, invitant quelques réguliers (Terry Edwards, Thomas Belhom) ou quelques voix amies (Lhasa, Isabella Rosselini, Carla Torgerson des Walkabouts). Installé en France depuis quelques années, Staples y monte son propre studio « Le Chien Chanceux » et son label « Lucky Dog », s’offrant du temps et de l’espace pour modeler sa musique sans pression. Alors que sort le 9e album du groupe (en plus des 2 Lp solos de son leader), « The Something Rain », les Tindersticks s’apprêtent à fêter leurs 20 ans de carrière. Pendant que la génération 93 a explosé en plein vol, Staples et sa bande ont su contourner les obstacles, se réinventer et rester toujours captivants, sans jamais céder aux moindres modes. Leur influence se fera sentir de l’Espagne (Migala) à la Norvège (Minor Majority, Madrugada), de la France (Jack The Ripper, le beau projet Fitzcarraldo Sessions, où Staples vient poser sa voix…) aux Etats-Unis (Dead Man’s Bones, Devotchka…). De plus en plus soul, leur musique touche à l’âme comme jamais. On en reprendra encore avec joie pour les 20 prochaines années.

Fabrice Bonnet

http://www.tindersticks.co.uk/splash.php

Tindersticks « The Something Rain » (City Slang/PIAS)

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