HYACINTH-OCTOPUS

Fleur et mollusque sur papier

Hyacinth : 13 floraisons entre 1990 et 1994 pour défricher le meilleur du HC/Noise/grunge/lo-fi/indie/pop, sans oublier les pages de graphisme. Octopus : 14 numéros entre 1994 et 2002 pour défricher le meilleur de l’indie/électro/expérimental/dub/world/folk. Philippe Doussot, le rédacteur en chef de Hyacinth et Octopus répond à nos questions

Qu’est ce qui t’a motivé (avec ta sœur) à créer le fanzine Hyacinth ?

Si j’ai bonne mémoire, nous étions à cette époque, en 1988, très attirés par la scène « indie » anglaise, représentée notamment par la fameuse compile « C86 » du NME. A titre perso, je commençais à m’éloigner de la new wave pour m’intéresser aux groupes plus « psyché » et « noise » assimilés à cette vague « indie », tels Spacemen 3, Loop ou même Jesus & Mary Chain. Et à vrai dire, il n’existait pas beaucoup de fanzines français dans cette veine là, hormis celui de notre ami Jean-Yves (qui habitait la même ville que nous, Pont-à-Mousson), Upside Down, auquel nous avions eu la chance de participer l’espace de 3 numéros il me semble. L’envie de s’émanciper un peu de ce projet et une certaine fascination pour tous l’univers des fanzines anglais de cette époque nous ont aidé à franchir le pas et à créer ainsi Hyacinth qui, au départ, s’appelait Hyacinth Story et n’était qu’un bulletin photocopié de quelques pages censé être le complément rédactionnel d’une émission que nous animions ma sœur Véro et moi sur Graffiti fm à Nancy. Quelques autres fanzines français de cette même époque, plus orientés rock et/ou garage, tel Abus Dangereux justement ou Wake Up, ou noise/indus comme Out Of nowhere, ont aussi représenté pour nous des modèles à suivre.

Un fanzine en 1990, c’est des interviews/chroniques  tapées sur Word, du collage, découpage et de la photocopie. Pas d’internet ni  de blog. Avec le recul quel regard portes-tu sur tes années Hyacinth, avec courriers par la poste (et non pas des mails) mise en page manuelle, sur cette façon artisanale de travailler et qui a depuis été chamboulé avec internet ?

Avec le recul, cela fait très bizarre en effet. Mais je crois que l’absence de tous ces moyens techniques avait ceci d’intéressant que pour aborder au mieux les questions d’organisation, de logistique, de documentation etc. il fallait être sacrément passionné, un peu utopiste aussi, et faire preuve d’une solide détermination. Cet esprit d’activiste zélé nous a souvent permis de dépasser nos petits travers/lacunes de jeunesse et de transmettre à ceux qui nous lisaient ce petit plus d’enthousiasme que l’on espérait contagieux ! Le côté artisanal du fanzine avait bien sûr son lot de défauts, mais nous faisions avec les moyens du bord sans calculs ni stratégie prédéfinie. La partie maquette avait un côté « petit atelier scolaire » assez savoureux aux relans de colle uhu et de tippex. D’un autre côté,  il y avait de vrais moments de galère sur le plan fabrication du fanzine (que nos amis d’Abus Dangereux ont bien dû connaître au départ) surtout avant de passer à l’informatique, puisque nous tapions nos textes sur une machine à écrire. C’est là notamment que l’on peut mesurer le fossé gigantesque existant entre cette époque et aujourd’hui. Comme tu le dis, énormément de choses se faisaient par la Poste, comme les interviews de musiciens, les achats de disques, les correspondances avec divers collègues du circuit … En matière de fanzinat, Internet a permis l’éclosion d’une pléthore d’initiatives individuelles, ce qui est évidemment appréciable, mais tout en les noyant un peu plus dans la masse d’informations et de médias existants. S’il est plus facile de s’exprimer aujourd’hui il est aussi plus difficile de se faire entendre…

Une des particularités de Hyacinth était que les auteurs ne signaient pas leurs articles et chroniques. Pourquoi ce parti prit ? Avec le recul, c’était un bon choix ?

Alors là, j’ai évolué sur la question, mais je ne renie par ce parti-pris étant donné que, me semble-t-il, nous vivions pour la plupart des rédacteurs de Hyacinth ce projet comme une belle utopie collective. Ton avis serait d’ailleurs intéressant, Pascal, non ? Ce choix correspondait à ce que nous avions envie d’être à l’époque, une équipe de passionnés curieux ne se prenant pas la tête, sans véritable leader, à l’affût des nouveautés et des concerts les plus excitants dans ce monde protéiforme de l’indie. Nous voulions partager nos coups de cœurs musicaux sans que les articles soient un prétexte pour que leurs auteurs ne se mettent exagérément en avant. Sans doute y avait-il une part de réaction dans ce choix, notamment face à certains professionnels du journalisme musical qui incarnaient à notre goût une approche nombriliste et élitiste de leur métier, ce dont on voulait être, peut-être naïvement, l’antithèse avec Hyacinth.

Hyacinth est paru en pleine « mode » grunge/noise/HC. Le fanzine était très respecté dans ces milieux, tant par la profession que par les artistes. Quels souvenirs gardes-tu de cette époque 89/92 ?

Beaucoup de très bons souvenirs. L’impression d’avoir amené la fameuse utopie dont je parlais précédemment à son terme, sans jamais avoir planifié quoi que ce soit ou si peu et plutôt vers la fin de l’aventure. Ce projet a fait un peu boule de neige. Nous avons commencé à 2 personnes puis 3, 4 et cela s’est multiplié au fil des contacts amenés par les uns et les autres.

En ce qui concerne l’aspect purement musical, je me souviens avoir interviewé fébrilement Mudhoney sur une pelouse à Nancy peu avant leur concert, leur avoir demandé leur top 10, avoir vu Courtney Love au sein de Hole dans un petit bar de Nancy, complètement défoncée, m’être fait dédicacer leur album, avoir interviewé Mega City Four dans un pub-rock près de Toul dans une ambiance familiale, avoir passé un super moment avec les Walkabouts à Bordeaux qui étaient un de mes groupes favoris.

En ce qui concerne le fanzine je me souviens de mémorables débats/apéros chez certains piliers de l’équipe , la préparation collective des interviews, tout cela dans un esprit bon enfant.

Le respect dont a surement bénéficié Hyacinth, je n’en avais pas énormément conscience, et je préférais d’ailleurs ne pas trop y penser même si les retours positifs jouaient au bout d’un certain moment un rôle important dans notre re-motivation notamment pour tenter d’améliorer la périodicité du fanzine.

Hyacinth s’est arrêté après 13 numéros. Ensuite tu as créé le fanzine Octopus. Qu’est ce qui a provoqué le besoin de changer, d’arrêter une formule qui avait trouvé son lectorat (à travers le monde) et repartir à zéro avec Octopus ?

Peut-être l’impression que l’utopie Hyacinth était arrivée à son terme. Il était devenu difficile de composer avec autant d’individualités aussi différentes, des personnalités fortes, pétries de tempérament et de qualités. C’était une aventure collective, humaine, bénévole par excellence. Sans doute a-t-il manqué à certains d’entre nous la maturité nécessaire pour dépasser certaines choses. A titre personnel, j’avais l’impression de ne plus pouvoir m’exprimer de la façon dont je le souhaitais.

Quelle étaient les changements de fonctionnement entre Hyacinth et Octopus ?

Et bien nous sommes partis sur une base rédactionnelle réduite, quatre personnes formant le noyau dur. Il y avait ensuite des collaborateurs auxquels nous passions des « commandes » ou qui nous proposaient des articles que nous pouvions accepter ou refuser. Nous faisions des réunions éditoriales assez régulièrement, essayons de planifier un peu plus les choses, nous voulions gérer le fanzine de manière plus « pro », offrir une périodicité fixe (trimestriel était l’objectif) et pourquoi pas envisager une distribution à plus grande échelle. Les grosses différences visibles par rapport à Hyacinth c’était la présence des signatures à la fin des articles, un peu plus de pub, et peut-être la maquette qui se voulait plus classique. Côté ligne éditoriale, je pense qu’Octopus s’inscrivait dans la lignée de ce qu’était Hyacinth vers ses 2 derniers numéros : indie au sens large, musiques de traverse, rock expérimental et jazz tendance impro, puis electronique. L’équipe a énormément évolué au fil des 14 numéros du fanzine, qui par la suite est devenu le complément musique de la revue Mouvement (diffusée elle en kiosque). Ca a été une fabuleuse aventure riche en rencontres, en engagements et en retombées inespérées.

Que retires-tu de l’expérience du fanzinat ? Quelle satisfactions (et déceptions) en as-tu retiré ?

Des rencontres improbables et enrichissantes en pagaille ! La possibilité de nourrir et de développer toujours plus notre soif de découvertes musicales. L’occasion pour d’anonymes amateurs de musiques (non-formatées commercialement) de faire entendre leur voix en toute liberté, un peu comme au début des radios libres, et parfois même de rallier à eux de « vrais » plumes du journalisme musical. Un pur bonheur, d’autant qu’aucun de nos collaborateur n’était rémunéré. Lister toutes les satisfactions serait long. En tout cas cette aventure m’a appris à composer avec une sacrée variété de caractères, de savoir-faire et de talents, de repousser des limites personnelles aussi. Les satisfactions sont trop nombreuses pour les lister. Quant aux déceptions, avec le recul, je n’en vois pas tant que ça. Le fanzine est une aventure vivante, donc aléatoire, bourrée de contradictions, de tensions, de déceptions et d’imprévus. Mais ceci est bien logique. Sur le plan humain ce genre d’expérience apprend énormément de chose…

Une des particularités du fanzine par rapport au magazine vendu en kiosque, c’est son indépendance vis-à-vis de la publicité, et donc de parler exclusivement de ce qu’on aime. Parler de ce qu’on aime est-il pour toi le fer de lance d’un bon fanzine ?

Selon moi un « bon » fanzine doit être curieux, fouineur, intègre et respectueux des artistes dont il a envie de parler. Après, je crois que l’on peut en tant que fanzine traiter de choses qui ne nous plaisent pas, mais cela me paraît être une perte de temps, de place et d’énergie, étant donné qu’en tant que projet artisanal on manque souvent de moyens ; autant donc privilégier ce qui nous plaît. Mais aujourd’hui avec internet, ce genre de restriction n’existe plus trop.

J’ai toujours été partagé sur cette question. Mais je crois qu’un fanzine peut tout à fait parler d’artistes dont il est fan et qui l’ont déçu. Disons que je ne ferai pas de cette question un critère déterminant pour savoir si je vais lire ou pas un fanzine. Je serai plus attentif à son esprit, sa façon d’argumenter, son enthousiasme…

Ta (tes) plus belle(s) rencontre(s) grâce au fanzine?

Celles qui m’ont le plus marqué : Bill Laswell, Fabien Barontini (directeur du festival Sons d’Hiver), Stephan Micus pour la période Octopus ; les Walkabouts pour la période Hyacinth, période durant laquelle des membres de l’équipe ont été marqué par la rencontre de Curt Cobain.

Qui sont tes modèles en fanzine ?

Si l’on parle bien de fanzine, je placerai Abus Dangereux dans « le haut du panier »; et ce bien que je ne l’achète pas très souvent (simplement parce que mes goûts musicaux se sont éloignés de ceux d’Abus). Pourquoi ? Pour sa longévité inégalée, son format idéal entre fanzine et magazine ; sa capacité à rester maître de son destin, en évitant la démesure, et puis un contenu équilibré toujours fourni par des rédacteurs passionnés.  Si l’on parle de webzine j’en apprécie plusieurs tels que Ethnotempos (excellent projet de passionnés de musiques du monde et folklores imaginaires !), dmute plus orienté electro et indie, .

Après Octopus tu as arrêté de faire des fanzines, pour te diriger vers l’internet avec Solénoïde? Pourquoi ce nouveau cap ? Le format papier est devenu obsolète pour toi ?

La fin d’Octopus a aussi correspondu à la fin d’un cycle. Et à titre perso j’arrivai au bout d’un engagement qui empiétait beaucoup trop sur ma vie privée. Le format papier n’était pas obsolète dans la mesure où le web ne me semble pas adapté aux dossiers et aux articles de fond. C’est d’ailleurs pour ça que la version web d’Octopus privilégiait les chroniques et articles courts. Mais c’était un peu contre-nature. L’abandon du papier s’est fait un peu la mort dans  l’âme (en tout cas me concernant) pour palier à tous les problèmes de maquette, de distribution et d’impression qui devenaient de plus en plus pesants. Mais j’aurai vraiment beaucoup aimé continuer à publier des articles sur du vrai papier !

La suite, c’est un retour aux sources avec Solenoide, une émission de radio (désormais diffusée sur 18 radios partenaires) qui se sert d’internet pour publier ses playlistes et chroniques, mais c’est avant tout une tranche de plaisir hebdomadaire d’une heure, avec une dimension plus ludique et spontanée, un peu comme au début du fanzinat, tournée vers ce que nous appelons les musiques « imaginogènes » (grosso modo musiques «  évocatrices » : nomades, illustratives…aussi bien ambient, world, jazz etc.). D’ailleurs j’ai le plaisir de faire cette émission avec Olivier que j’ai connu comme correspondant à l’époque de Upside Down ( !!), ancien animateur/agitateur de la bande fm normande qui distribuait Hyacinth et Octopus à Rouen. Comme une sorte de boucle qui s’est bouclée, en fait.

Abus Dangereux fête cette année ses 25 ans. Tu écoutais quoi comme musique en 1987 ? Ton top 5 de 1987 ?

Alors là, tu me poses une sacrée colle. Bizarrement j’ai plus en tête 89-90 où le premier album de Nirvana (« Bleach ») ou « Louder than love » de Soundgarden m’ont fortement marqué. En 87, j’écoutais encore Cure, Cocteau Twins, New Order, Sisters of Mercy, je commençais à peine à bifurquer vers des choses plus rock (voire hard-rock) et noise… Voici néanmoins un top 5 de cette année là correspondant à des albums que j’ai découverts l’année suivante et que j’ai bien sûr adoré:

Spacemen 3 « The Perfect Prescription »

Head of David “LP”

Loop « heaven’s Head »

Primal Scream « Sonic Flower Groove »

Big Black “Songs about Fucking”

Un mot à rajouter pour ce numéro d’Abus « 25 ans spécial fanzines » ?

Ce « spécial »est une belle initiative qui pourra à la fois renseigner les plus jeunes générations sur l’activisme « fanzinesque » de cette époque et documenter une partie de cette culture partiellement tombée aux oubliettes.

J’ai le souvenir d’avoir acheté Abus Dangereux en format A5 photocopié à Nancy en 1988 il me semble. Puis de l’époque A4 où était joint au fanzine un 45 tours, puis de celle où un mini CD a fait son apparition. Que de chemin parcouru depuis cette époque ! Franchement, des projets comme celui-là, capable de conserver énergie, intégrité  et  passion tout en s’inscrivant dans la durée, je n’en vois pas d’autre en France. Alors bon quart de siècle à Abus et continuez encore longtemps à défier les lois du fanzinat hexagonal !

Merci pour tes réponses !

Paskal Larsen

: J’ai écris dans Hyacinth à partir du numéro 5. J’ai rencontré Philippe en 1989 au concert de Mudhoney au Cirque Annie Fratellini à Paris. Vu mon enthousiasme à l’égard de la musique et des groupes, Philippe m’a encouragé à écrire, alors que je n’avais jamais écris une chronique de disques, ni fait une interview. Hyacinth reste un bon souvenir pour moi, et le fait de ne pas signer ses articles et chroniques ne me dérangeait pas du tout. D’ailleurs pour écrire, j’ai utilisé le pseudo de Paskal Larsen.

: Hyacinth s’est arrêté après 13 floraisons.  Une partie de l’équipe commence avec Philippe Doussot l’aventure d’Octopus. L’autre partie, crée le fanzine Ortie qui sortira 4 numéros (un numéro part an). Ortie sera plus graphique, avec des sujets divers  allant du football à 3 équipes, Casimir, l’art brut, le cinéma bis… tout en gardant le pied dans le rock indé. Après Hyacinth j’ai continué à écrire dans Ortie.

: Octopus a aussi organisé des concerts et des festivals de musiques « déviantes », quelque part entre l’indie et l’IRCAM.

:  HYPERLINK « http://www.solenopole.org » www.solenopole.org

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