MICAH P. HINSON – Léger comme une plume de plomb

Micah P. Hinson, son physique d’asperge, sa voix chevrotante et sa country déglinguée ont toujours donné l’impression qu’il sortait d’un film des frères Cohen. Il est de ces personnages qui combattent des souvenirs douloureux par un humour mystérieux, plein de tendresse. Après trois ans de silence, il revient nourrir notre imaginaire avec treize chansons pétries de larmes et d’espoir qui ne laisseront pas indifférents les cœurs de cow-boys solitaires.

Il faut dire que Micah a toujours plus ressemblé à un survivant qu’à un chanteur de rock, malgré son look de dandy du siècle dernier. On est cette fois-ci frappé par sa maigreur de coyote efflanqué, rehaussée d’énormes lunettes d’écaille qui lui donnent un regard lointain, comme si ce qu’il avait vu ne pouvait pas être raconté. Et c’est pourtant par les mots, simples et directs, autant que par sa musique chargée de clichés intemporels, qu’il nous donne à partager dans ce septième album son espoir en l’amour, toujours en lutte avec une vision très déprimée du monde qui nous entoure. Mais chut, laissons-le raconter…

« The Nothing » semble avoir été structuré en miroir par rapport au « Pioneer Saboteurs », en commençant fort pour finir tout calme.

Ah oui, tu trouves ? L’album avec The Pioneer Saboteurs est bien la dernière chose à laquelle je pensais en enregistrant celui-ci. J’ai failli tout arrêter. Ce LP est plutôt un nouveau point de départ, pas du tout la continuation de mes précédentes œuvres.

Le sous-titre de l’album est « Micah P. Hinson and the Nothing » (Le Néant, ndlr). Est-ce pour indiquer que tu l’as enregistré entièrement seul ?

Pas du tout, j’avais un groupe d’Espagnols adorables qui m’a épaulé tout au long de la session de 15 jours qu’a pris l’enregistrement. Je n’aurais pas pu transcrire ce que j’avais en tête sans eux, sans chacun d’entre eux ! Ce sont de vrais anges. The Nothing est inspiré d’un livre allemand que j’adorais quand j’étais petit : L’histoire sans fin. Il s’agit de la créature maléfique qui dissout tout sur son passage parce que l’imagination des enfants sur Terre diminue. Plus les enfants oublient, plus « Le Néant » devient fort. J’ai trouvé cela particulièrement pertinent pour décrire cette époque où nous nous enfonçons. Ce terme me hantait depuis un bon bout de temps. Le livre me hante toujours.

Comment t’es-tu retrouvé à enregistrer en Espagne ?

Le précédent album avait été enregistré en majorité par moi, seul, suant dans de petites pièces fermées, avec l’aide de quelques amis disséminés autour du globe. Le tout avait été mixé à the Echo Lab par Matt Pence et c’était du 100% jus de Texan. Cette fois-ci je voulais jouer avec de vrais gens, ensemble, live ! Je voulais retrouver cette excitation de la prise unique que l’on a perdue en enregistrant instrument par instrument. J’ai eu la chance de rencontrer ces musiciens extrêmement talentueux et gentils au studio Moon River de Santander Il y a quelques chansons subsistant des sessions démos où je suis accompagné par un Ecossais du nom de Andy MacFarlane, de The Twilight Sad Fame, à Glasgow et T. Nicholas Phelps au Texas. (…) Pendant la tournée « Trompe le monde » que nous avons effectuée avec les Pixies, nous avons eu un grave accident de la route, mon groupe et moi. . Nous aurions tous pu y passer, mais Dieu merci nous nous en sommes sortis. J’ai arrêté un van de 3 tonnes avec mes épaules enfoncées contre mon buste, à moitié défenestré. Comment les secours ont-ils réussi à me sortir de là ? C’est un vrai miracle. J’ai perdu l’usage de mes bras pendant un certain temps et j’ai toujours des problèmes avec. Mes musiciens sont comme mes frères et je les aime beaucoup, mais après cela ils sont tous partis, sauf moi. (…) En fait, j’avais déjà enregistré quasiment tout l’album il y a plus d’un an avec un groupe complètement différent, mais tout aussi international. Quand mes bras ont cessé de fonctionner, il y a tant de personnes qui m’ont offert leur aide ! C’était incroyablement généreux de leur part et ça m’a aidé à retrouver la pêche. J’ai vraiment compris ce que c’était qu’être un musicien qui a de l’âme, et plus généralement une bonne personne, quand j’étais dans le besoin. Et puis, j’ai décidé de tout reprendre. Ce qui n’empêche pas que ces premières sessions ont un charme spécial et qu’elles verront peut-être le jour telles quelles. L’émotion qui les habite ne pouvait pas être recréée, mais « The Sons of the USSR » et « The Quill » avec des synthés et des superpositions de voix, se rapprochent de cet esprit initial.

Ce nouvel album commence avec un morceau de rock’n'roll complètement destroy (c’est le seul d’ailleurs). Qu’est-ce qui t’a pris ?

J’étais bourré de médicaments, assis au studio Moon River à Santander (Espagne) où j’ai enregistré l’album et cette chanson a littéralement surgi de mon esprit avec un assortiment étrange de mots en anglais qui ne voulaient pas dire grand-chose. Mac, mon ingénieur du son et co-producteur m’a dit « Mais qu’est-ce que c’est ce bordel ? C’est génial ! Il faut à tout prix le mettre sur l’album ». Ma section rythmique était au studio, nous avons pris quelques minutes pour réarranger tout ça et l’avons enregistré tout de suite en une prise. Quand il a fallu faire le track listing de l’album, la première place semblait la seule qui lui convienne. De plus, je me suis dit que les mecs qui mettraient le disque et découvriraient « How are you just a dream ? » se demanderaient ce qu’il m’était arrivé. Ils penseraient que j’ai perdu la tête et peut-être n’écouteraient même pas la suite.

Je ne suis pas sûre de bien comprendre l’intention de « Sons of USSR ».

Je regardais la télé avec ma femme et nous avons assisté à ce documentaire sur un homme qui tua de sang froid des enfants de l’ancienne URSS devant une caméra et vendit des cassettes vidéos de son crime à un groupe d’Italiens. Il se fit coffrer mais s’en sortit avec 11 ans de prison et est aujourd’hui peut être en train de se rouler une cigarette alors que je t’écris. Tu t’attendais peut être à un sujet plus politique avec ce titre, mais cette histoire avait besoin d’être racontée. J’ai pris des notes pendant le reportage et je les ai transformées en paroles. On peut dire que c’est une murder ballade moderne.

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« On the way back to Abilene » parle de ta ville natale que tu as quittée il y a quelques années. Es-tu nostalgique ?

C’est la première chanson vraiment country que j’ai écrite, même si elle ne sonne pas trop country sur l’album. Oui, Abeline me manque, même s’il y a peu de choses qui réjouissent mon cœur dans cette ville. C’est triste de dire cela, mais vrai. Nous vivons maintenant avec Ashley à Denison, la ville où Doc Holiday était dentiste avant d’arriver à Tombstone. Après l’assassinat de son frère, Frank James est resté au Traveler’s Inn Off sur la rue principale à attendre la grâce du gouverneur du Michigan. Il a fait son premier discours quelques 20 km au sud dans une ville du nom de Sherman. C’est une ville chargée d’histoire qui me convient parfaitement. J’ai l’impression que toute ma vie j’ai cherché cet endroit et maintenant j’y vis. Hallelujah !

Est-ce que « The life, living, death and dying of a certain and peculiar L.J. Nichols » raconte l’histoire de ton grand père ?

En effet, j’aime beaucoup parler de mon grand-père. Il était singulier et personne ne saurait vraiment le décrire. Mais il a été mon sauveur quand j’avais besoin d’être sauvé, même si ce n’était pas le genre d’homme à montrer beaucoup de compassion pour son prochain. J’ai l’impression qu’il a écrit cette chanson avec moi car il y a des choses que je n’aurais jamais découvertes tout seul. Je suis sûr que c’est lui qui m’a soufflé toutes ces informations que l’on trouve dans la chanson.

Dans « God is good », tu as l’air un peu désabusé par la pensée religieuse traditionnelle. Pourtant, tu as enregistré cet hiver un 45t de Noël pour une œuvre de charité chrétienne.

Je n’ai jamais dit que j’étais « déçu » par la Religion ! Tu devrais mieux écouter cette chanson, même si je comprends que chacun y trouve ce qu’il veut (…). J’ai participé à une action menée par The Yellow Bird Project parce que ma femme travaillait pour Christ Haven for Children à Keller. C’est un endroit où les parents peuvent choisir de laisser leurs enfants quand ils ont un coup dur à surmonter et les reprendre quand ça va mieux. Ce n’est pas comme l’assistance publique qui enlève les enfants une bonne fois pour toutes.

Comment expliques-tu cette tradition du disque de Noël aux Etats-Unis ?

Ne trouves-tu pas que Noël, ou l’époque qui lui correspond, est importante dans tous les pays du monde ? En fait, je ne sais pas trop si c’est le cas dans le monde entier, mais partout où je suis allé, il me semble que ça a une connotation spéciale. Les gars de Yellow Bird Project sont canadiens et m’ont demandé comment je souhaitais m’impliquer dans leur action. C’est tout naturellement que nous avons pensé à un 45t de Noël : cela représente beaucoup pour ma famille. Tu peux entendre mes parents chanter sur « Please Daddy, Don’t Get Drunk This Christmas » et Ashley sur « Silent Night » en Face B.

Ta musique fait appel à des références très ancrées dans la musique traditionnelle du sud des Etats-Unis comme « There’s only one name » ou « The life of L. J. Jones ». Est-ce que ça t’aide à rester connecté à tes racines ?

Je dirais même que ça m’aide à rester connecté avec qui je suis. Je suis né à Memphis. J’ai été élevé en Virginie de l’Ouest, puis au Texas. La tradition n’est pas une question de nostalgie ou d’aspiration. C’est un état d’esprit, une manière de vivre qui fait totalement partie de mon présent. Je n’écris pas en me disant que je vais rendre hommage à ci ou à là. Ce sont juste mes accords et mes mots qui sortent comme ça, sans intention particulière. « TA vision de la tradition est MA vie ».

Propos recueillis par Cathimini

Crédit Photos : Cathimini

Micah P. Hinson and the Nothing, sorti chez Talitres

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