Les Nuits Botanique – du 10 au 21 mai 2012 – Bruxelles (Belgique)

Malgré un temps frisquet, on se presse pour cette nouvelle édition des Nuits du Bota. C’est qu’ici, on y voit et entend ce qui remue depuis des mois la blogosphère et autres cercles de petits veinards et (ou) débrouillards, qui connaissent tout avant tout le monde.

Les Nuits Botanique, c’est un peu, toutes proportions gardées, le Festival de Cannes à Bruxelles. On est au début de l’été, ou plutôt la fin de l’hiver – on n’a pas encore rangé les pulls – les journées s’allongent, les week-ends sont agrémentés de ponts, les cerises – turques – vont bientôt faire leur apparition sur les étals des marchés bruxellois. De petites joies simples qui donnent envie de siroter une bière et d’aller voir des concerts dans une ambiance amicale et festive, en d’autres termes une ambiance… belge. On n’ira pas tout voir, et pour cause, le festival est réparti sur cinq salles pour douze soirées et quantités d’artistes excitants en piste.

UN PETIT BLANC SEC

On commence en fanfare avec The Divine Comedy, programmé au Chapiteau, et nous ne ferons pas l’impasse sur la première partie. Jolie frimousse, avenante et bruxelloise, la jeune Noa Moon a suffisamment d’atouts pour chauffer la salle. Sa voix juste et claire en est un. Ce soir, elle joue en trio, pour interpréter un répertoire hétéroclite – un morceau reggae par ci, une ballade folk par là – accompagnée de musiciens concentrés, qu’elle présente au public in extremis… l’émotion d’être ici au festival. Le temps file, et c’est Neil Hannon, qui vient seul présenter les scies intemporelles de sa Divine Comedy :  « Daddy’s car », « Tonight we fly », « Our mutual friend » ou « Something for the weekend »… Au grand plaisir d’un public essentiellement composé de fans, il les jouera presque toutes, au piano ou à la guitare sèche, dans des versions revisitées, façon tango, cabaret ou swing. L’humeur est à la déconnade. On ne sera pas déçu : oeillades lourdes de connivence, sens de la mise en scène, blagues vachardes, un véritable cabot, ce Neil. Parce que ses chansons inusables nous ont fait tant de bien, on lui pardonnera ses approximations pianistiques et un set décousu – la mémoire qui bute sur les textes et accords, pauses dégustation d’un petit blanc sec… – mais oh combien réjouissant.

LES ROCKERS LIEGEOIS

Même heure, même endroit, mardi 15 mai. Qu’attendre de Philco Fiction, énième groupe scandinave à tenter l’aventure hors de ses frontières ? Ni guitare, ni basse, mais un sorcier fou aux commandes de claviers sortant des sons en pagaille, un batteur adroit et une interprète investie et craquante, aux pas de danse robotiques empruntés autant à Michael Jackson qu’à Kraftwerk. Le trio sonne pro, et rappelle avec force Bel Canto, autre triplette norvégienne d’une génération antérieure. Philco Fiction propose une pop moderne, expérimentale, qui sonne curieusement assez peu électro. Le long morceau final est grandiose. Les rockers liégeois sont reconnaissables à quinze kilomètres, généralement affublés d’un chapeau H&M, d’un pantalon slim, de converses pourries et d’un t-shirt d’un groupe eighties vaguement cheesy, genre Duran Duran. Aussi, quelle surprise de voir débouler sur scène les cousins – liégeois donc – de Fleet Foxes ! Chez Dan San, le look est à l’image de la musique : bucolique et terrienne. Cinq gars, dont deux chanteurs affublés d’une guitare sèche, et une fille au clavier jouent des chansons belles et fortes, les entrailles ouvertes. Harmonies nous voici, violon folky, accords virtuoses et cassures de rythme osées. De la musique, comme on aimerait en entendre plus souvent sur les ondes. Quatre guitares pour une trompette, c’est ainsi que s’ouvre le concert de Isbells, grosse sensation ici, couvertures de mags et tout… Une introduction cotonneuse à la Sigur Rós. Puis la voix se meut, rare et angélique. La guitare crasseuse vient brouiller la légèreté des morceaux d’une évidence pop. Le groupe flamand compose avec un éventail varié d’instruments : mélodica, vibraphone, trompette ou ukulélé. Quelques titres sont véritablement galvanisants, d’autres plus anodins. Information inutile, mais qu’on ne peut passer sous silence : le guitariste est le sosie de Moby – une tête en moins.

ALLEZ LES BLEUS !

Après une soirée quasi 100% belge, retour en ce mercredi ensoleillé – vite, mes lunettes de soleil ! – au complexe du Botanique, pour l’accueillante Orangerie, où l’on viendra applaudir – ou pas – trois groupes français. Lorsque La Femme, buzz de l’an dernier et après un passage au festival des Inrocks, monte sur scène, on est un peu déçu. Le rapprochement avec Taxi Girl, souvent évoqué à leur endroit n’a pas lieu d’être, d’autant plus que ce soir, les bambins jouent sans perruque et lentilles de contact, façon Le Village des Damnés, film culte des early sixties, chéri par la bande à Mirwais. Surpris aussi, par le nombre de synthés – quatre au compteur – pour un rendu assez plat. Les morceaux se suivent et, hélas, se ressemblent. Une même recette : suite d’accords, sur laquelle on brode pour faire monter la sauce. Seul émerge le « hit » « Sur la planche » qui, il est vrai, est d’une efficacité redoutable. Le groupe a pour lui l’énergie de ses jeunes années, et ce qui va avec : les joues rouges, un brin d’arrogance, l’enthousiasme. Housse de Racket – quel nom ! – est un duo, dans la lignée « frenche touche », qui compose des morceaux pas vilains, aux mélodies accrocheuses sur une pulsation disco. Un batteur moustachu et un chanteur guitariste anorexique s’escriment sur une bande préenregistrée, d’où s’échappent quelques nappes de synthés et autres arrangements sophistiqués. Mais d’emblée, le duo semble jouer un morceau qui n’a aucun rapport avec le fond sonore… Une expérience étrange, à laquelle on se soustrait avec beaucoup de réserve. Une amie, un poil espiègle, me fait remarquer que la housse – l’objet – serait sans doute plus utile que le CD en vente à la sortie du concert. Pas cool ! Hervé Salters aka General Elektriks ne pouvait trouver meilleur pseudo. Ce Français voyageur, amateur de claviers old school, est une véritable pile électrique. Tel un pois sauteur, il pogotte sur son clavinet, le maltraitant au passage. Pour l’accompagner dans son univers barjo, où les genres pop, funk, soul, jazz, rock, glam et j’en passe… fusionnent sans retenue, il s’est entouré d’une bande de sauvageons, chacun expert dans son genre : un guitar-hero super looké, un bassiste qu’on dirait sorti d’un cartoon afro-américain, un batteur-vibraphoniste keupon… Nous assistons à un show pêchu, un spectacle hautement musical et récréatif. Sa version inattendue de « Andy Warhol » de David Bowie est le clou d’une soirée divertissante.

GROUPIES BALTES

Retour aux affaires ce vendredi 18, avec pour commencer une grande inconnue. Roule-t-il en Rover ? Timothée Régnier, grand gaillard, coupe de cheveux balzacienne, entre Rodolphe Burger et Antony, col relevé et foulard autour du cou, est secondé par trois musiciens, inspirés du meilleur des années septante – riffs de guitare, jeu et phrasé typique de la session rythmique. On entre dans son univers avec circonspection. Un univers bien sombre, une voix puissante, des mélodies alambiquées, qui intimident. Après un set fiévreux et lyrique, et la magie de quelques titres enlevés – le merveilleux Tonight -, qui filent la chair de poule, le public bruxellois, conquis, aura du mal à le laisser partir. En Estonie, on porte les mêmes falzars, qui laissent apparaître les trois quarts du caleçon. On y joue sur les mêmes Telecaster et batterie Ludwig. On y compose surtout des chansons tout aussi formidables que partout ailleurs. Ewert and the Two Dragons quitte la scène après quarante-cinq minutes d’un set émouvant, appliqué et techniquement parfait. Sérieux, concentrés, ils font le job. Ces très jeunes gens, que nous avions rencontrés pour une interview dans un récent numéro papier – quoi, vous l’ignoriez… ? – nous avaient mis la puce à l’oreille : « Pour écrire une bonne chanson, il faut de la rigueur… ». Ce soir, on en a pris la pleine mesure. Leur pop à la fois fluide et complexe n’a pas laissé indifférent que les groupies baltes au nez retroussé, venues en nombre encourager ceux qui sont restés trente semaines en tête des ventes album au pays. Les préjugés, quelle plaie ! Sur la foi de quelques sessions acoustiques, hébergées sur youtube, les refrains de Revolver et leurs études de musique classique ne nous faisaient ni chaud ni froid. Leur pop mignonne était inoffensive, sans aspérité. Tu parles ! Ce soir, on a vu trois jeunes types, sympas comme tout, accompagnés de deux musiciens additionnels, interpréter des chansons first class, pleines de réminiscence sixties – ils ne s’appellent pas Revolver pour rien – arrangées avec goût, qui tiennent la route. Leur prestation est à la fois honnête et sincère. Ils aiment manifestement ce qu’ils font, et ils ont bien raison.

C… FOREVER

On profite de l’occasion qui nous est offerte pour aller voir Charlotte Gainsbourg au Cirque Royal, une des plus belles salles de Bruxelles. Ce soir, elle joue dans le cadre du festival avec Connan Hosford, le mystérieux et super barré Néo-Zélandais, alias Connan Mockasin – le nom du groupe. Il s’agit d’un véritable show, conçu ensemble avec des morceaux tirés des deux répertoires. Décor simple et sobre, fait de colonnes asymétriques qui, assemblées les unes aux autres représentent deux montagnes stylisées. Les éclairages font le reste. Tout de blanc vêtus – un hommage à Air, le groupe ou à Orange Mécanique de Kubrick (?) -, le groupe a fière allure. Qu’elle oublie un instrument backstage ou laisse tomber son micro, le public, sous le charme, l’encense. Elle n’a rien perdu de son élégance un peu gauche, de sa timidité de jeune fille. Sa voix a, avec le temps, gagné de l’assurance. Quant à celle de Connan… elle est à la croisée de Donald Duck et de la sorcière de Blanche Neige. On pense à un gag, mais non ! L’association des deux artistes fonctionne bel et bien. Il y a des moments étonnants, comme lorsqu’elle emprunte les baguettes au batteur le temps d’un titre, ou cette reprise de « Ashes to ashes » de Bowie, encore lui, pas très différente de l’originale, si ce n’est le final où Charlotte G. joue du xylophone. C’était le dernier concert pour ce qui nous concerne. Rendez-vous en 2013 pour la prochaine édition. On a hâte !

Franck Ducourant

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